Première détection pour Virgo

Mercredi 27 septembre 2017, les collaborations LIGO et Virgo ont annoncé en marge du sommet «G7 Science» à Turin une quatrième détection d’une fusion de deux trous noirs. Le signal a été enregistré le 14 août 2017 vers 12h31, pour la première fois par trois instruments. En effet, les deux détecteurs «Advanced LIGO» – fonctionnels depuis septembre 2015 et dont les données ont déjà permis d’identifier les ondes gravitationnelles produites par trois fusions de trous noirs – avaient été rejoints le 1er août par le détecteur «Advanced Virgo». Ce nouvel événement, baptisé GW170814, est décrit dans un article accepté par la revue Physical Rewiew Letters, mis en ligne à l’URL https://tds.virgo-gw.eu/GW170814 et qui est disponible sur le serveur de preprints arXiv (https://arxiv.org/abs/1709.09660). Cette découverte illustre de manière éclatante l’intérêt de disposer d’un réseau de trois détecteurs. D’une part, la précision sur la localisation de la source dans le ciel est considérablement améliorée (d’un facteur 10 environ pour GW170814 par rapport au cas où seules les données des deux détecteurs LIGO sont utilisées) et d’autre part de nouveaux tests de la relativité générale deviennent possibles. C’est de bonne augure pour la prise de données commune LIGO-Virgo «O3» qui devrait commencer dans un an environ, après une nouvelle série d’améliorations sur les trois instruments.

Les ondes gravitationnelles sont des vibrations de l’espace-temps produites en particulier lors d’événements cataclysmiques qui ont lieu dans le cosmos, comme la fusion de deux trous noirs. GW170814 fait partie de cette catégorie: deux trous noirs pesant 31 et 25 fois la masse du Soleil et situés à environ 1,8 milliard d’années-lumière de la Terre ont fusionné, donnant naissance à un trou noir unique de 53 masses solaires. Lors de ce phénomène, une énergie considérable, équivalente à celle contenue dans trois masses solaires, a été émise sous forme d’ondes gravitationnelles.

Cet événement n’est que le quatrième publié par les collaborations LIGO et Virgo en deux ans. Si les trous noirs observés le 14 août ont des propriétés similaires à ceux des détections précédentes, ce signal a ceci de particulier que c’est le premier à avoir été vu par trois détecteurs: les deux instruments «Advanced LIGO» et «Advanced Virgo». Cette avancée marque le début d’une nouvelle ère pour l’étude des ondes gravitationnelles car le potentiel d’un réseau de trois détecteurs est bien supérieur à celui formé par les instruments LIGO uniquement.

Comme dans le cas des événements précédents, GW170814 a été détecté par des programmes informatiques qui analysent les données des deux détecteurs LIGO dès qu’elles ont été enregistrées. Le «candidat» – c’est-à-dire un signal prometteur mais dont l’origine astrophysique demande à être confirmée par des études ultérieures plus complètes – a donc été identifié rapidement, ce qui a permis d’envoyer une alerte aux nombreux télescopes partenaires de la collaboration Virgo-LIGO pour qu’ils recherchent une éventuelle contrepartie électromagnétique (ou sous forme de neutrinos) des ondes gravitationnelles.

 

Si la sensibilité des détecteurs Advanced LIGO était suffisante pour conclure à une détection en se basant uniquement sur leurs données, Advanced Virgo a également «vu» GW170814, comme le démontrent deux analyses indépendantes.

  1. La première étude compare deux hypothèses antagonistes: dans un cas, un signal dans Virgo compatible avec les observations de LIGO ; dans l’autre, aucun signal visible dans les données de Virgo, lesquelles contiendraient donc uniquement du «bruit de mesure». Les calculs montrent que la première hypothèse est largement favorisée par rapport à la seconde (par un facteur supérieur à 1600 contre 1).
  2. La seconde analyse fait appel à une méthode de recherche d’ondes gravitationnelles différente de celle utilisée pour détecter GW170814 – le « filtrage adapté», basé sur la connaissance du signal produit par la fusion de deux trous noirs. En ne supposant pas une forme particulière pour les ondes gravitationnelles recherchées, on peut espérer détecter différents types de signaux, avec toutefois une efficacité moindre par rapport au cas optimal du filtrage adapté. L’avantage de cette méthode est qu’elle permet de combiner au mieux les données des trois interféromètres, d’extraire un signal et d’estimer sa forme ainsi que son amplitude. Une manière de quantifier la force de ce signal reconstruit est de calculer le temps qu’il faudrait attendre en moyenne pour que des fluctuations aléatoires du bruit de mesure dans les différents détecteurs s’accordent par hasard pour produire un signal artificiel au moins aussi fort que celui détecté. Plus ce temps est long et plus l’origine astrophysique du signal détecté est probable. Avec uniquement les deux détecteurs LIGO, cette méthode calcule un taux de fausses alarmes de l’ordre de une en 300 ans. Avec l’ajout de Virgo, on passe à un taux inférieur à 1/5900 ans, soit un gain d’un facteur presque 20. Et, cerise sur le gâteau, le signal reconstruit ressemble beaucoup à celui attendu pour une fusion de trous noirs.

L’intérêt d’un troisième détecteur devient évident lorsqu’on s’intéresse à la position de la source d’ondes gravitationnelles dans le ciel. Contrairement à un télescope qui pointe dans une direction donnée, un interféromètre géant comme Virgo ou LIGO ressemble plus à un microphone: il observe une grande partie du ciel et n’est donc pas capable de localiser tout seul la provenance d’un signal. Par contre, on peut obtenir des informations en comparant les temps d’arrivée de l’onde gravitationnelle dans différents détecteurs (les ondes gravitationnelles se propagent à la vitesse de la lumière, environ 300000 km/s, et donc l’écart entre des instruments éloignés de plusieurs milliers de kilomètres peut dépasser la dizaine de millisecondes) ainsi que les caractéristiques des signaux mesurés (figure 3). Avec les deux détecteurs LIGO, on obtient des bandes qui couvrent une grande fraction du ciel – de l’ordre du millier de degrés carrés – ce qui rend presque impossible la recherche d’une contrepartie électromagnétique. En ajoutant les informations fournies par Virgo, la taille de la région du ciel qui a 90 % de chance de contenir la source diminue considérablement : d’un facteur dix environ pour une analyse rapide utilisée pour informer les télescopes partenaires de la découverte d’un candidat ondes gravitationnelles; et sa taille n’est plus que de 60 degrés carrés dans le cas de l’analyse la plus complète disponible, utilisée pour mesurer avec la meilleure précision possible les paramètres du système de trous noirs GW170814.

Chaque détection d’ondes gravitationnelles permet de tester la relativité générale. GW170814 ne fait pas exception à la règle: des résultats préliminaires confirment, comme pour les événements précédents, la validité de la théorie d’Einstein – des analyses plus fines sont actuellement en cours. Par contre, l’ajout de Virgo, dont l’orientation est différente de celle des détecteurs LIGO (construits de manière à être «parallèles»), ouvre des perspectives pour l’étude de la polarisation des ondes gravitationnelles, c’est-à-dire de la manière dont elles déforment l’espace-temps. En relativité générale, ces déformations se produisent dans les plans perpendiculaires à la direction de propagation de l’onde gravitationnelles : une direction d’espace est contractée tandis que la direction perpendiculaire est étirée, et vice versa. A priori, mathématiquement au moins, rien n’empêcherait des déformations différentes, par exemple dans toutes les directions de l’espace à la fois ou bien dans une seule direction. Une première approche, utilisée pour GW170814, consiste à tester des hypothèses antinomiques: soit une polarisation en accord complet avec la relativité générale, soit une polarisation interdite dans ce cadre théorique. Les données des trois détecteurs préfèrent clairement la première hypothèse. D’autres études plus complexes sont en préparation et ce domaine sera exploré plus largement avec les futures détections attendues au cours des prochaines années.

L’histoire s’est donc répétée ! En septembre 2015, l’événement GW150914 a été détecté quelques jours à peine après le démarrage des détecteurs Advanced LIGO, justifiant ainsi leur programme ambitieux d’améliorations. Le 1er août 2017, Advanced Virgo complète officiellement son propre programme d’améliorations et co-détecte le signal GW170814 deux semaines plus tard. Ce résultat est le fruit de plusieurs années de travail de la Collaboration Virgo, des équipes de l’European Gravitational Observatory (EGO, hôte du détecteur Virgo), des laboratoire participant au projet et des organismes de recherche partenaires – en France le CNRS.

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