Par groupe Auger APHE et al. (Pierre Auger Collaboration)
Un aspect intriguant du modèle standard de la physique des particules est l’absence de degrés de liberté de chiralité droite pour décrire les neutrinos. En effet, et jusqu’à nouvel ordre, les neutrinos ne sont sensibles qu’aux interactions faibles, pour lesquelles les états de chiralité droite sont inertes. La conséquence immédiate est que les neutrinos n’ont pas de masse dans le modèle standard.
Non seulement l’absence de masse des neutrinos n’est étayée par aucune symétrie fondamentale du modèle standard, mais les diverses observations d’oscillation entre différentes saveurs de neutrinos plaident en faveur de masses de neutrinos non nulles, et donc d’une physique au-delà du modèle standard (BSM). Une autre indication de la physique BSM est l’existence d’une forme inconnue de matière, la matière noire (DM), pour expliquer plusieurs observations d’anomalies gravitationnelles. C’est en partie pour ces raisons que le modèle standard doit être complété, malgré ses énormes succès face à une variété de données expérimentales.
Dans une étude récemment publiée dans Phys. Rev. D 109, L081101 (2024), nous avons pu contraindre un scénario BSM qui répond à la fois aux problèmes de masse des neutrinos et de DM en couplant une particule DM super-lourde à deux espèces différentes de neutrinos de chiralité droite, dont l’une est super-lourde tandis que l’autre est ultra-légère. Cependant, comme les états de chiralité droite peuvent interagir avec les états de chiralité gauche par l’intermédiaire d’un boson de Higgs sans briser aucune des symétries du modèle standard, les neutrinos observés dans les détecteurs ne sont pas des états de chiralité purement droite ou gauche, mais un mélange de ces états. L’une des conséquences est que les neutrinos observés jusqu’à présent sont en fait légèrement massifs (mécanisme de la « bascule à trébuchet »). Une autre conséquence est que la particule DM super-lourde a une longue durée de vie, bien plus longue que l’âge de l’univers.
Les canaux de désintégration de la particule DM à longue durée de vie devraient permettre d’observer d’abondants flux de neutrinos et de photons d’ultra-haute énergie. Grâce à la sensibilité de l’Observatoire Pierre Auger à ces particules, nous sommes donc sensibles à l’angle de mélange qui gouverne la durée de vie de la particule DM. Le domaine d’exclusion des angles de mélange en fonction de la masse de la particule DM obtenu dans l’étude est représenté par la zone en orange dans la figure ci-dessus, tandis que la région rouge hachurée θ > 9 x 10-4 est exclue à partir de mesures en cosmologie observationnelle. Si le nombre effectif de neutrinos s’écarte significativement de 3 dans les futures observations cosmologiques, nos contraintes seront alors décisives pour déterminer si la nouvelle physique ainsi révélée par la cosmologie est intimement liée à celle des particules DM super-lourdes.